Être, dans ce monde

05/06/2022

 On ne peut pas dire que ce soit facile facile en ce moment. On me dira que cela ne l'est pas depuis la nuit des temps. C'est vrai. Être humaine, humain, où toutes autres espèces vivantes sur cette terre, c'est pas du gâteau tous les jours. Mais en ce moment, nous sommes dans une période historique moins folichonne que certaines, une période que l'on pourrait assimiler à ces prédictions de fin du monde récurrentes, dont personnellement je rigolais franchement lorsque je les entendais prêchées par les témoins de Jéhovah, ou par tous les flippés du passage du vingtième siècle au vingt et unième. Aujourd'hui, je n'ai plus envie de rire du tout. Les sonnettes d'alarmes sonnent de partout et cela ne semblent pas faire grand effet sur les homos sapiens que nous sommes. J'en suis à plus de la moitié de ma vie, j'en suis même au trois quart, mais j'ai un fils et un autre de cœur qui ont 19 et 23 ans. Ils sont en pleine jeunesse, au tout début de leurs parcours de jeunes hommes. Hier soir nous nous sommes retrouvés et nous avons longuement discuté du monde justement. Leurs paroles devraient être remplis de rêves, d'espoirs, de joie de vivre et pourtant ils ressentent profondément la noirceur et le chaos à venir, ils le décrivent, ils l'analysent parfois si finement que c'en est effrayant. Et je suis là, impuissante à prôner la lutte, l'engagement politique, la foi en notre humanité surprenante, combattante et résiliente. Ils n'ont plus foi en l'humanité. Ils sont chacun à leur manière radicaux. Ce sont des discussions passionnantes car ils ont une vraie culture générale et dans le même temps ils sont en phase avec leur époque et au fait de ce qui s'y joue. Ils sont traversés par leur vécus déjà très chaotique , une pandémie, une crise sociale et économique mondiale, un écosystème en déroute et qui se meurt, une troisième guerre mondiale qui pourrait se déclencher soudainement comme toutes les autres, mais qui depuis le mois de février devient de plus en plus concrète. Ils ont vécus cela dans leur chair et s'attendent du coup au pire et non au meilleur, ou à la possibilité d'un monde meilleur. Ils n'y croient plus. Cela m'émeut et me trouble profondément. L'adolescence n'est pas un âge où la joie de vivre est reine, et ceci à n'importe quelle époque. L'adolescence est tourmentée et envahie d'émotions contradictoires. Mais faisant partie de ces émotions intenses,  et traversées sans demi mesure, il y a l'espoir et les rêves d'une vie bien souvent hors norme et tumultueuse, une vie riche en aventures , en découvertes, en passions, en grands amours, une vie où les battements de cœurs sont puissants et pulsent sans cesse. Je sens cela chez mes deux fils, mais depuis deux ans ce n'est plus au premier plan, ils ont comme vieillit brutalement, alors qu'ils sont au tout début de leur vie d'êtres humains autonomes ou en passe de l'être. Je m'interroge alors sur ce qui habite nos enfants en ce moment. Je m 'interroge sur ce qui habite tous les enfants du monde en ce moment . Je me suis d'ailleurs toujours demandée ce que devenaient les enfants soumis à toutes nos violences d'adultes (maltraitances, abus sexuels, misère sociale, guerres et j'en passe). Quels types d'adultes tout cela engendrent-il ? J'ai eu parfois des réponses à ces questions. Cela semble perpétuer une forme de chaos émotionnels sans fin. Et nous tournons en rond dans la reproduction de schémas qui nous détruisent sans jamais réussir à s' en extirper. Mais aujourd'hui ne sommes nous pas arrivés au bout de notre folie, de nos paradoxes destructeurs ? Nous y avons embarqué plus que nous même, nous y avons embarqué notre lieu de vie. Nous sommes entrain de le détruire, de l'exploiter jusqu'à la corde et nous sommes confrontés pour la première fois à l'irrémédiabilité de nos actions. Nous pensions la vie comme un éternel recommencement et voilà que ce n'est plus le cas, la mort sans appelle est là qui rôde vraiment. Il y a toujours un déséquilibre conséquent entre la destruction et la construction. La destruction est rapide, parfois même instantanée, la construction prend des années, voir parfois des siècles. Nous avons rompu ce fragile équilibre qui permettait, malgré tout, à la vie de survivre et de se reconstruire sans cesse vaille que vaille face à notre puissance destructrice énorme (nous sommes bien les plus grands prédateurs sur cette planète). J'ai toujours cru que l'Amour, avec un grand A était notre unique planche de salut, que l'Amour permettait sans cesse de tout reconstruire justement...J'oubliais la notion d'exploitation, une destruction plus pernicieuse et à long terme. Celle-ci nous a piégé définitivement, semble-t-il. A chaque fois que je reviens sur ces valeurs qui me semblent fondamentales : solidarité, partage, amour, équité, égalité, bienveillance, respect, liberté, mes deux fils me rient au nez, gentiment, mais ils me rient au nez. Ce sont des valeurs fragiles qui ne tiennent pas la route face au chaos qui nous attend. Ils s'attendent au pire, ils s'attendent à devoir affronter la face la plus sombre des êtres humains déchaînés. Ils me peignent un tableau effrayant des années à venir où l'instinct de survie égoïste et violent prévaudra sur tout le reste. Ils n'ont absolument pas foi en notre belle part d'humanité. Ils se rejoignent tous deux sur cette fatalité, alors qu'ils peuvent être parfois comme le jour et la nuit, qu'ils ne se ressemblent pas du tout, ils pensent tous deux les humains au bout de leur folie, au bout de leur chemin et se disent que la terre qui nous portent et nous nourrit depuis des milliers d'années ne s'en portera que mieux si nous nous entre-tuons tous et que notre espèce disparaisse à jamais. . Et je reste sans voix, sans aucun argument, le cerveau vide et le cœur en berne. 19 et 23 ans le bel âge "normalement" ...   Mon cœur saigne ...

Un soir de mai 2022