Je suis restée dans ta maison Premier chapitre.
Il m'a vue... assise sûrement ? Debout, en attendant de rentrer dans la salle du culte ? Je ne sais pas en fait, moi, je n'ai aucun souvenir de Lui, lors cette dernière année passée au catéchisme du temple de Massy-Antony -Palaiseau. Je n'ai que le souvenir diffus, d'heures qui s'éternisent, de ma hâte de partir de là , de ma colère contre mon père qui m'avait obligée, (il le niera sûrement), à vivre cette dernière année de caté, alors que je m'affirmais déjà, à tout juste 9 ans, athée. Il l'avait fait pour ma grand-mère paternelle, que nous adorions tous. Il m'avait prise par les sentiments, mon père, tout en exerçant, quoiqu'il arrive, une forte autorité. Et Lui , âgé de quelques mois de moins que moi, il m'a vue ... alors que j'étais déjà ailleurs, petite fille butée et fermée, hermétique au monde qu'on lui imposait. Il se souvient de ma queue de cheval, haut perchée sur ma tête. Elle me faisait mal cette queue de cheval, les cheveux tirés à l'extrême, pas une mèche folle qui dépasse. Ma mère nous coiffait, mes deux sœurs et moi la petite dernière, elle nous habillait aussi . Elle faisait en sorte que nous soyons « tirées à quatre épingles », comme l'on dit. Honnêtement, à vivre tous les jours : un calvaire. Mais Lui n'a pas vu le calvaire, ni l'enfant au visage fermé que j'étais, non, Lui a vu une jolie gamine, effrontée, qui répondait au pasteur et lui posait des questions embarrassantes, auxquelles celui-ci tentait de répondre, tant bien que mal. Lui, a vu une gamine libre, d'une liberté qui lui était inconnue. Il en est tombé amoureux, d'elle et de cette liberté, qu'il sentait sourdre de partout. Il avait raison, un vent de liberté était entrain de s'engouffrer dans la maison, mais aucune femme, de la dite maison, nous étions quatre, ne s'en rendaient vraiment compte. Nous étions en 1974, ma mère avait repris ses études, retournant à la fac, depuis 3 ans déjà, alors doucement le féminisme prenait ses quartiers chez nous, pas encore de vraies tempêtes à la maison, mais déjà quelques petites choses en mouvements... Nous quittions, imperceptiblement, certes, mais inexorablement, le modèle familiale patriarcal des années cinquante, soixante, dont nous fûmes la représentation idéale, à ce détails près, qu'il y manquait un fils. Nous aurions pu jouer dans les pubs de l'époque sans aucun artifice . Nous présentions bien socialement. Heureusement , il y avait à la maison déjà quelques failles, quelques paradoxes . Mes parents se promenaient nus, dans notre appartement, et cela avant mai 68. Notre nudité, à tous, n'était pas tabou. Ils répondaient à toutes les questions que nous pouvions leur poser concernant la sexualité. Déjà, nous n'étions pas élevées comme des oies blanches, comme la plupart des petites filles de l'époque. Cela n'a l'air de rien mais c'est un bon terreau pour que la liberté y pousse.
Il m'a vue et moi pas du tout... Il se cachait déjà ... Il s'est caché longtemps.
Nous avions 12 ans, lorsqu'il est arrivé au sein de la troupe des éclaireurs et éclaireuses de France, dont je faisais partie, tradition familiale oblige. J'avais d'abord été louvette. Bien souvent , on tombe amoureux à l'école, moi, mes premiers amours, mes premières palpitations du cœur, mes tous premiers émois, je les ai connus aux louveteaux puis aux éclaireurs. J'avais deux sœurs que j'adorais, j'ai donc choisis mes frères de cœur en dehors du cercle familial. J'avais besoin de me confronter à d'autres masculinités que celle de mon père. Un amoureux, rencontré lors d'un camps d'été de louveteaux, mon dernier, m'avait suivie aux éclaireurs. Une fois encore, Lui je ne l'ai pas capté, je n'étais toujours pas disponible à ses sentiments inavoués. Par contre, je l'ai vu et il m'a troublé. Les garçons de 12 ans font plus enfantins que les filles de cet âge là. Je n'étais pas loin de ma taille adulte, j'étais déjà formée, déjà réglée, mon corps avait déjà éprouvé bien des changements que j'étais entrain d'apprivoiser. Je m'y sentais bien, dans ce corps de femme en devenir, il était fin, long et tonique, seules mes coupes de cheveux était parfois laborieuses, je rêvais d'avoir des cheveux plus épais, moins raides, plus lumineux aussi, je trouvais mon châtain clair bien terne. Je faisais partie de cette minorité de toute jeune fille, qui ne se prennent pas pour la beauté du siècle, mais qui se sentent bien dans leur corps , et qui dégagent une joie de vivre et une énergie pleine de charme . D'un seul sourire je faisais fondre tous les gars autour de moi. Je ne réalisais pas vraiment l'impact affectif de cette liberté d'être et de cet appétit de vivre communicatif. On dit parfois de quelqu'un qu'il est lumineux, je pense avoir été lumineuse, en toute simplicité, sans chichi, sans aucune arrière pensée, jusqu'à mes 14 ans. Lui à l'inverse était sombre et ténébreux, toujours sur le qui vive, comme un chat sauvage. Il parlait très vite et de façon hachée, et ses yeux noirs pouvaient vous fusiller d'un seul regard. Il avait déjà un visage taillé à la serpe. Son corps n'était pas encore un corps de jeune homme et pourtant l'enfance ne l'habitait plus. Il était nerveux et sec, tendu comme un arc. Il m'inquiétait, tant de colère sourde, circulant dans son corps, m'inquiétait. Je sais qu'il pouvait faire peur, c'est d'ailleurs ce qu'il souhaitait, c'était palpable. Je n'ai jamais eu peur de Lui., comme si je savais, inconsciemment, qu'il ne me ferait jamais de mal, en tout cas physiquement. Et pourtant, il était capable de mettre à terre bien des adversaires, tant sa rage le rendait véhément. Il n'avait pas encore un corps de jeune homme, mais sa stature n'était plus celle d'un enfant et très vite il m'a touché, il m'a troublé. Nous n'étions décidément pas du même monde, et cela m'interrogeait, me fascinait aussi. Le père de mon fils, m'a dit un jour, que les lumières attirent les papillons de nuit. Paradoxalement, ou en raison d'un certain équilibre, va savoir, j' ai toujours été attiré par les ténébreux et les ténébreuses, papillons de nuit. Je les ai, bien souvent accueillis au chaud de mon rayonnement. L'autre, l'alter ego, me fascine d'autant plus qu'il m'est totalement étranger. Lui, n'était pas mon double, mais une entité que j'avais bien du mal à déchiffrer et qui, pour le coup, m'offrait un voyage dans un monde qui m'était alors totalement inconnu.
Nous n'étions pas couvées à la maison. On nous a élevées, dans le but d'être débrouillardes et autonomes, d'où les louvettes et les éclaireuses, une expérience que nous avons vécues toutes trois, mes deux sœurs ensemble, moi bien plus tard. J'ai eu ma sœur aînée comme cheftaine lors d'un camps d'été. J'allais avoir 10 ans, elle en avait tout juste 16. Un camp chaotique à souhait, un souvenir mémorable, pour nous deux. 60 gamins qui se chopent la chiasse, tous ensemble, et qu'il faut soigner dans des conditions plus que rudimentaires, sous un soleil de plomb, cela ne s'oublie pas. Elle a assuré, ma frangine, j'en étais très fière. Nous n'étions pas couvées, mais nous faisions parties de la classe moyenne des années 1970. Nous n' étions pas privilégiées à outrance, il n'y avait que le salaire de mon père qui rentrait, pour cinq personnes. Nous ne manquions de rien et nous avions accès aux vacances, aux activités de notre choix, nous n'avions pas la sensation de devoir nous serrer la ceinture. Comme je le disais, nous étions le reflet parfait de la classe moyenne des années 1970, ces années en pleine mutation. Nous pouvions profiter de ces nouvelles libertés qui naissaient des luttes de l'époque. Lui venait d'un monde que je ne connaissais pas, que je ne fréquentais pas . Lui venait de la banlieue de Massy, des quartiers dit populaires. Il détonnait dans le tout petit groupe que nous formions aux éclaireurs, nous n'étions que cinq ou six cette année là. A vrai dire, je ne me souviens plus très bien des autres, juste de Lui et de mon amoureux que nous nommerons ... Tourment... mon tourment des années qui suivirent.
Nous avions 12 ans et nous nous cherchions sans fin.
Comme il était beau mon Tourment et comme Lui était dense et opaque . Mon Tourment était amoureux, puis, attiré par d'autres... amoureux de nouveau, puis de nouveau, attiré par d'autres... comme il m'en a fait voir mon Tourment. Je me perdais dans ses incertitudes et ses revirements, aveugle alors, à la constante présence de Lui, sombre et secret, qui marchait à mes côtés.
Je ne les voyais que les week-end et pendant les vacances, mes deux amours, ombres et lumières d'adolescence.
Pendant la semaine, d'autres amours naissaient.
Je n'avais jamais osé lui parler. En primaire, elle lisait assise sur la grande poubelle sous le préau de la cour de récréation. Une vraie beauté pour mes yeux d'enfant, puis d'adolescente. Une petite fille, silencieuse, habillée de ses long cheveux auburn, lisait, toute enveloppée par sa chevelure de feu sombre. Elle lisait tous les jours, pendant la cour de récréation, alors qu'une multitudes d'enfants/oiseaux virevoltaient et piaillaient autour d'elle, dans une course folle. Je faisais partie de ces oiseaux/enfants, virevoltants sans cesse, ivres de liberté, goûtant avidement la libération des corps trop longtemps assis derrière un pupitre. Je n'avais jamais osé lui parler, et voilà qu'en cinquième je la retrouvais dans ma classe. Un jour, elle s'est assise à côté de moi et nous nous sommes souri. Mon cœur battait fort dans ma poitrine, comme consciente que cette rencontre allait être primordiale et centrale dans ma vie de jeune femme. Am devint mon amie, ma sœur de cœur, mon aimée aussi. Je le sais aujourd'hui, je suis une amoureuse de la vie et des êtres magnifiques que je croise sur ma route. Mon cœur s'ouvre et s'offre sans limite, qu'ils soient hommes où femmes, mon cœur tombe amoureux, le corps ensuite, c'est une autre histoire.
Am me devint vitale, elle fut ma véritable Alter ego, je l'ai aimé pleinement, abondamment, sans retenue, mon âme avait rejoint la sienne sans difficulté. Nous n'avions pas besoin des mots pour nous parler sans cesse. Nous frémissions à l'unissons et la vie nous a poussées inexorablement sur ce chemin commun, renforçant nos liens jusqu'au point de rupture, nous avions alors 20 ans.
Cette relation intensément fusionnelle, à nulle autre pareil, aurait pu nous enfermer, nous isoler des autres. Ce ne fut jamais le cas et quand nous avons croisé la route d'une Fée brune, légère, évanescente, fragile comme du verre filé, nos bras d'adolescentes aimantes se sont ouverts pour l'y accueillir toute entière.
Une Fée eurasienne, solitaire, secrète et bien sûr peu causante. Elle dessinait merveilleusement. Am et moi aimions les livres, les mots, les histoires, nous les dévorions et passions des heures à en parler, Fée dessinait et nous émerveillait.
Nous sommes devenues trio. Nous déambulions dans les couloirs du collège, légères et soudées comme les doigts de la main, moi lumineuse et dansante, Am devenue plantureuse et toujours timide, Fée aérienne et si fragile face à la vie. Je sais que nous attrapions les regards, nous n'en avions cure alors, vouées toutes entières à cette amitié naissante qui s'épanouissait. Nous étions sûrement amoureuses les unes des autres, mais comment le nommer cet amour autrement qu'amitié, à douze ans, en 1977 nous n'avions jamais entendu parler d'amours homosexuels. Cela n' existait pas, ni dans les livres que nous lisions, ni dans les télévisions, qui commençaient à envahir nos maisons. Nous étions sœurs alors, une sororité passionnée, choisie, joyeuse et solide.