La petite.

21/03/2024

 Maman.

Un chignon banane et une robe droite, vert pomme, au col haut des années 1960, des chaussures noires pointues avec de petits talons fins qui claquent sur le sol neuf d'un grand appartement de cinq pièces. Appartement au troisième étage, perché au milieu des arbres d'une vaste et somptueuse forêt, le balcon en surplombe une partie en creux dans la vallée. Une résidence toute neuve construite il y a peu de temps, perdue au milieu des bois et de la campagne, une résidence éloignée de tout et de tous. Des talons qui claquent et une main de femme qui ouvre la porte d'une chambre où se réveille une petite fille toute blonde à la peau couverte de boutons rouges et urticants. Elles se tendent les bras, la jeune femme attrape délicatement la petite fille dans les siens, la petite fille, de trois ans à peine, s'agrippe à son cou. . Cette jeune femme est seule avec sa petite dernière, malade,, ses deux filles aînées sont à l'école et son mari est parti travailler. Il n'est pas loin de 9h30, la musique classique habite l'espace de la salle à manger de sons légers et doux, elle esquisse un pas de danse avec sa petite dans les bras, même chafouine la petite lui sourit. La petite aime être dans ses bras, la petite aime l'odeur de sa mère et se nicher dans son cou, elle en oublie que sa peau la brûle et la gratte. Elles sont seules au monde et l'espace d'un moment la solitude forcée de cette jeune femme jusqu'alors citadine lui pèse un peu moins. Dans ce temps suspendu, sa petite nichée dans son cou, l'isolement lui paraît moins amer et moins rude. Ces longues journées remplies par les tâches quotidiennes recommencées à l'infini jour après jour sont comme arrêtées par la maladie de la petite. Maladie qui lui demande de s'y consacrer et de repousser à plus tard toutes les obligations en cours. Elles sont dans une bulle intime et douce qui n'appartient qu'à elles et qu'elles partagent d'un commun accord, un accord tacite d'adulte à enfant qui se fait sans les mots mais dans la douceur d'une étreinte dansante. Le quotidien va les rattraper bien sûr... mais pas tout de suite, pas tout de suite. Pour l'instant elles tournoient face à la baie vitrée et la petite s'est mise à rire, sa bouille tachetée est comme celle d'un petit chat joueur, sa mère lui fait des bisous dans le cou, posés sur le col du pyjama, pour que la peau ne soit pas irritée et la grattouille ravivée. Elle se dirige vers la cuisine et lentement pose son enfant dans sa chaise haute et toujours en dansant très légèrement elle va lui chercher à manger. Le quotidien revient doucement prendre ses quartiers, mais ce n'est pas grave, ce n'est pas grave,..

La petite, devenue femme, gardera gravé dans sa mémoire à tout jamais, ces moments si doux et si particuliers des jours passés avec sa mère lorsqu'elle était malade, rougeole, grippes et autres joyeusetés qui lui permettaient alors d'avoir sa mère pour elle toute seule. On apprit plus tard, que la petite avait eu un complexe d'Œdipe inversé...  Enfin c'est ce que dit une psychologue à sa mère. Sa mère qui avait repris ses études, à la fac, à Paris, loin du grand appartement dans la forêt, loin de sa petite.et de ses grandes.  Sa petite de six ans, presque sept, qui comme par hasard se mit à vomir toutes les semaines alors qu'elle n'avait aucune raison physiologique d'être malade ayant été opérée de l'appendicite à sa rentrée en CE1. De plus tous ses examens médicaux s'avérèrent parfaitement normaux, par la suite. Ah ! Retenir sa mère et ces journées feutrées, musicales et douces, ces bulles intimes, où la lecture aussi s'était invitée, où la petite se délectait de ce temps suspendu et partagé avec elle, là bas dans le grand appartement tout confort perdu au milieu des bois... Quand la petite compris, grâce à la psy, que son subconscient entravait la liberté de sa mère, elle s'arrêta de vomir illico. A la sortie de la dernière consultation, elle glissa sa main dans la main de la jeune femme et lui dit « Tu sais maman, je ne faisais pas exprès » et sa mère se contenta juste de serrer tendrement la main de sa petite en lui offrant un regard profond et confiant. Elles sont rentrées toutes les deux en silence enveloppées de cette bulle qu'elles savaient si bien créer ensemble.

Claire, notre mère est morte le 17 février 2024.

A ma mère, à mes sœurs que j'aime tant.

Cécile. .