LES PLACARDS / Episode 11

 - Chant venant d'un des placards

- Tu arrives à chanter, toi ?

- C'est comme le bourdonnement de la dernière fois, mais en moins mystique, en plus joyeux.

- Etre dans la joie, en confinement ? C'est incroyable, la force que tu as.

- Toi, tu arrives à bosser, pas moi.

- Cela ne te manque pas de ...?

- De quoi ?

- Et bien... le toucher, les baisers, les caresses, la peau de l'autre, son odeur, sa chaleur ?

Silence.

- T' as envie de sexe ?

- Oui, mais pas seulement. J'ai envie... J'ai envie de dormir tout contre sa peau, j'ai envie de nos pieds gelés qui se réchauffent, de nos morsures tendres, du frémissement de sa peau sous mes caresses, de son abandon, de sa confiance charnelle. Toi, tu chantes, moi j'ai envie de danser allongés, enchevêtrés, mélangés, soudés, attendris et émus au delà des mots.

Long silence. .

- Tu ne dis rien ?

- Tu as quelqu'un de vivant, quelque part, dans un placard, et tu peux en rêver,. t'as du bol, crois moi.

- Oui, c'est vrai. Excuses moi, j'aurais dû me taire.

- Non, t'inquiètes, tu n'y peux rien. La vie et la mort, sont inextricablement imbriquées, on le sait bien. Notre confinement nous le rappelle, chaque jour qui passe. Je connais cette solitude charnelle, qui te ronge. Je la pratique depuis des années, et si elle est de moins en moins rude et vide de sens, c'est que la vie a repris le dessus. Mais je sais, parfaitement, combien elle est âpre au corps et au cœur, parce que, pour l'instant, les miens sont totalement esseulés... amoureusement, j'entend. (Le chant reprend)

On entend du bruit dans l'autre placard, un bruit feutré.

- Qu'est ce que tu fais ?

- Ne t'arrête pas, s'il te plait. Je danse.

- Le chant reprend.

Le 27 mars 2020. A Phil décédé le 04 novembre 2016. A mon fils de 17 ans, amoureux en ce moment et désespéré d'être seul dans son placard. A tous les amoureu-ses-x séparé-e-s, et à tous les corps et cœurs esseulés. Nos moyens de communication ne remplaceront jamais, la tendresse charnelle, de quelque nature qu'elle soit, amoureuse ou affective. Texte écrit sur le morceau de musique Wet boy de Camille.