LES PLACARDS / Episode 17

02/08/2021

- Je t'ai manqué, tant que cela ?

- N'insiste pas, d'accord. Alors, dehors c'est comment ?

- Vide.

- Vide, vide ?

- Ca dépend où.

- Tu as été loin d'ici ?

- Jusqu'à la ville voisine.

- Mais je croyais que tu cherchais un chat ?

- Oui, et c'est le chat qui m' a amené-e jusqu'à la ville.

- Comment ça ?

- Impossible de l'attraper. Je l'ai croisé très vite après avoir quitté mon placard. Une petite boule de poils roux et blanc, un chaton d'amour. J'ai voulu le caresser et je n'ai pas pu. J'avais pris du lait et une petite soucoupe dans mon sac comme appât Tu parles, il l'a totalement dédaigné, et a tracé joyeusement sa route, en direction de la ville. Et quand je dis joyeusement, je ne te mens pas.

- Pourquoi tu l'as suivi , tu aurais pu te faire choper à n'importe quel moment ?

- Oui, je sais , mais avec lui aucun risque.

- Tu déconnes ou quoi ? Tu penses vraiment que les forces de l'ordre, émue de te voir avec cette petite boule de poil, ne t'aurais pas arrêté-e ?

- Nan, bien sur que non, je ne suis pas stupide.

- C'est donc que tu racontes n'importe quoi.

- Je te raconte un truc extraordinaire, incroyable, même moi je n'en reviens toujours pas.

- Tu as eu du bol, c'est tout. Tu n'as croisé personne, voilà, c'est pas compliqué. Puis tu n'as pas voulu rentrer dans la ville, tu as fait demi tour pour rentrer au bercail, sans chat, bredouille quoi.

- Pas du tout.

Silence

- Alors ? Raconte !

- Et pourquoi ? De toute façon tu ne me crois pas.

- Peut-être, mais cela fait passer le temps.

- Oui sûrement, mais moi je veux que tu me crois.

- Ok, je te crois. Alors ?

- Je n'ai pas croisé que Le Chat, j'ai croisé des vaches, des ânes, des poules, des canards, des chiens, des biches, des cerfs, des sangliers, des...

- Bon ! T'as croisé des tas de bestiaux, c'est normal à la campagne.

- Tu ne comprends pas. De toute façon tu ne peux pas comprendre. Ils étaient tous en liberté.

- Oui, et alors ?

- Dans la ville aussi, ils étaient tous en liberté, partout. Les drones ont beau hurler à tout va, ils s'en foutent eux, nous ne sommes plus là, car enfermés dans nos armoires, placards, petites boites punitives, ou dans les usines, les hôpitaux, les centres commerciaux, ou parqués dans les champs. Nous n'occupons plus tout l'espace. Et je t'assure, ils étaient joyeux, heureux, cela émanait d'eux intensément.

- Je rêve, tu délires. D'où tu sais qu'ils étaient heureux ? Ils te l'ont dit ?

- Laisse tomber. Bon, à ton avis, pourquoi je n'ai pas ramené Le Chat avec moi ?

- Parce que tu n'as pas réussi à le choper.

- Nooon , pas du tout. Au bout de la première journée déjà, il me grimpait dessus, il me faisait des câlins, puis il reprenait la route vers la ville. Et moi sans bien savoir pourquoi, je le suivais. Je n'ai pas pu le ramener pour l'enfermer dans mon placard, pas après ce que j'ai vu.

- Mais comment se fait-il que les drones ne t'ai pas repéré ? C'est impossible, Ils auraient dû te repérer, faire un signalement, et les forces de l'ordre aurait dû débarquer, t'arrêter, et t'emmener.

- Mais ... Parce que j'ai très vite compris qu'il fallait que je marche à quatre pattes, et que je me planque le plus souvent possible en cas de danger. Cela m'a permis d'échapper aux contrôles. Une sorte de camouflage.

- Comme un animal ?

- Oui, exactement, comme un animal.

Long silence

Lumineuses salutations. Cécile le 09 avril 2020 A tous les canards de Paris et les dauphins de Venise. A nos villes sans voiture, sans circulation, à nos rues vides et devenues douces aux animaux qui, du coup, se les approprient et réenchantent nos cités.