LES PLACARDS / Episode 18

09/08/2021

- Ils sont passés ?

- Qui ?

- Les livreurs, ils sont passés ?

- Non , pas encore.

- Ca m'angoisse, ça m'angoisse tout ça.

- Ils ont un peu de retard, pas de quoi flipper.

- Et s'ils sont tous malades ?

- Mais non, qu'est-ce que tu vas imaginer là ?

- En ville, tu sais, j'ai vu des gens tout de même.

- Oui, tu m'as dit, près des hôpitaux. Tu as vu des arrivées aux urgences en nombre, et tout le personnels soignants en effervescence. Je ne vois pas le rapport.

- Personne n'avait de masque, ou si peu, c'était, comme dire, c'était surréaliste toute cette effervescence dans ce si grand dénuement.

- On le sait ça, c'est le chaos.

- C'est bien ce que je dis, on va crever de faim. On va nous oublier dans nos placard isolé-e-s de tout, et on va crever de faim !

- Isolé ou pas si les livreuses et les livreurs sont toutes et tous malades, vu que l'on a pas le droit de sortir, du tout de nos placards, c'est sûr, on va crever.

- Tu vois, c'est bien ce que je dis. Ils auraient dû nous déposer, depuis plus d'une heure déjà, là, juste devant nos portes, nos commandes. Mais à part ce maudit drone, rien ne bouge dehors. C'est pas normal. Ca m'angoisse tout cela, ça m'angoisse. Je confine mal.

- Tu entends les oiseaux ?

- Oui, bien sûr.

- Ils sont là, revenus, heureux, joyeux, exactement comme tu me les as décrits. Exactement comme tu as décrit tous ces animaux en goguette, dans nos villes désertes.

- Je ne vois pas le rapport avec le fait que c'est une très mauvaise idée d'avoir des placards en pleine cambrousse ? Nous sommes totalement perdu-e-s au milieu de la verdure. Nature, dont nous ne pouvons absolument pas profiter, parce que même ici; à des kilomètres de tout âme qui vive, nous n'avons absolument pas le droit de sortir. Ils ont réussit, pour ce faire, à nous coller ces affreux machins volants qui tournicotent sans cesse au dessus de nos têtes, sans aucune régularité d'horaire. Je confine mal, je confine mal, je confine mal ! J'aurais du rester avec les renards, vaches, lapins, loups, souriceaux, chats, chiens, sangliers, biches, cerfs, papillons qui naissent et oiseaux qui chantent ... si bien ... rien que pour nous narguer. Je n'aurais jamais dû rentrer, j'aurais dû rester...

- Respire, tu vas t'étrangler. Pourquoi être revenu-e alors ?

- Pour toi. Je suis revenu-e pour toi.

Lumineuses salutations. Cécile le 10 Avril 2020. Distanciations sociales. Je déteste cette nouvelle expression que l'on entend et lit sans cesse en ce moment.