LES PLACARDS / Episode 39

27/09/2021

 - On est d'accord, c'est immonde ?

- Effectivement, ce n'est pas joli, joli.

- Et puis ça pue, non ?

- On peux dire ça.

- Tu peux me dire ce que l'on a fait qui mérite autant de souffrances visuelles et olfactives ?

Silence

- Tu ne peux pas me le dire ?

- Pas vraiment.

- C'est profond tu crois ?

- Je ne sais pas, je n'ai pas été voir.

- Il doit y avoir des tas de cochonneries la dedans, non ?

- Je ne sais pas, je ne suis pas biologiste.

- Tu ne sais rien, en fait ! C'est une vaste étendue de bactéries en tout genre prêtes à nous contaminer, après la pandémie, la pourriture nous assiège !

- Il ne faut rien exagérer tout de même.

- Est-ce que tu te rends compte que notre dé-confinement est un vrai fiasco ? De nouveau je n'ai plus de PQ !

- Il va juste falloir patienter quelques jours, toute cette gadoue...

- Gadoue ? Non, c'est bien trop propre comme intitulé, pour nommer cette chose qui nous encercle ! Toute cette vase, tu veux dire ! Toute cette vase verdâtre, puante, toxique qui nous piège. Nous sommes des étermel-le-s confiné-e-s ! C'est une vraie malédiction.

- Il y a une très jolie chanson qui s'intitule La gadoue, je crois... (fredonnement de La gadoue)

- Mais comment fais-tu ? Comment fais-tu pour supporter cet enfermement qui s'éternise ? Quelle angoisse tout ça ! Quelle angoisse !

- Du mois de Septembre au mois d'août
Faudrait des bottes de caoutchouc
Pour patauger dans la gadoue

Une à une les gouttes d'eau
Me dégoulinent dans le dos
Nous pataugeons dans la gadoue

- Pitié ! S'il te plait un peu de pitié. Je n'en peux plus d'être isolé-e du monde, même s'il n'est franchement pas aimable en ce moment. Je n'en peux plus, tu entends ?

- Je n'y peux rien.

- En fait, tu adore être confiné-e.

- Adorer, n'est pas forcément le terme que j'emploierais, mais l'isolement, me convient assez bien, oui, je dois le reconnaître.

- Combien de temps ?

- Comment cela combien de temps ? J'aime être loin du monde des humains, c'est tout.

- Non, je veux dire, combien de temps pour que toute cette vase sèche et que nous puissions de nouveau circuler librement ?

- Quelques jours. Il ne faut pas qu'il pleuve.

- Combien exactement ?

- Comment veux-tu que je te le dise, je n'ai aucune idée de son épaisseur, c'est un facteur important à ...

- Sors ! Mets tes bottes, sors et va sonder la chose !

- Avec quoi ? Je n'ai aucune barre, ou tube suffisamment long, et les arbres sont loin au milieu de toute cette gadoue, pas de branche non plus à diposition. Nous n'avons que des fleurs sur notre île minuscule.

- Sonde avec tes bottes, enfonce toi le plus possible là dedans, cela nous donnera tout de même une idée.

- Et si je tombe dans un trou ?

- Mais, non !

- Et pourquoi non ? Le terrain n'est pas tout plat, ici. Il est fait de fossés, de petit monts et de collines.

- Toujours des idées noires.

- C'est la meilleure, celle là ! Qui me prend la tête avec ses idées noires depuis tout à l'heure ?

Silence

- On patiente d'accord ? C'est pas compliqué, on n'a pas le choix.

Silence

- Ca m'angoisse tout cela, ça m'angoisse...

- Je comprends...

le 31 mai 2020. je continue de me sentir un peu loin de tout, dans un entre deux étrange. Mais j'imagine que je ne suis pas la seule, loin de là. Le ville gronde au loin contre le monde qui se met en place de façon de plus en plus brutale. La ville se débat comme elle peut. Ici les actions sont plus « souterraines », moins visibles et du coup le calme des villages est parfois étrange lui aussi, comme décalé avec la réalité politique et économique qui est entrain de se dessiner...