LES PLACARDS / Episode 6

05/06/2021

 - Pourquoi tu t'agites comme ça ?

- Il faut que je bouge, j'ai mal partout. Le sang ne circule plus.

- On dirait un éléphant dans un magasin de porcelaine.

- Tu peux me dire pourquoi on est dans un placard, et pas dans une armoire.?

- Parce qu'on a pas les moyens. C'est pas compliqué, ceux qu'on de la thune, ilels ont une armoire, ceux qu'en ont pas, ilels ont un placard.

- Comment tu fais pour étendre tes jambes ?

- En pensées.

- Comment ça ?

- Je m'imagine que je suis debout, dehors, au milieu d'un prés, tout près de la forêt. Et je gambade, sous le soleil, en toute en liberté.

- Et ton sang, il circule ? Ta pensée est aussi balaise que ça, pour faire croire à ton corps qu'il gambade pour de vrai ?

- Autrement, je dors les jambes en l'air, sur le dos, les jambes totalement en l'air, posées sur une pile de bouquins et de fringues. Du coup le matin au réveil, j'ai pas de souci de circulation sanguine.

- Tu as la place de faire ça, dans ton placard ?

- C'est sûr qu'avec ta tonne de bouquins, tes plantes vertes, qui vont finir par crever d'ailleurs, par manque de lumière, tes dossiers pour bosser et tout le reste, c'est un confinement drôlement confiné, dans ton placard.

- Il va falloir que je trouve une armoire. Je suis sûre, que du coup, je confinerais mieux.

- Ah! Ça c'est certain. Et, tu la trouves comment ton armoire ?

- Faut que j'y réfléchisse.

- Tu vas te barrer ?

- Oui, peut-être, pourquoi pas ?

- Tu vas me laisser tomber comme une veille chaussette ? Tu vas sortir ? Et peut-être contaminer d'autres personnes, le temps que tu trouves cette putain d'armoire ? Tu vas rajouter des noms à la longue liste des malades et des morts ? Tout ça, parce que tu confines mal ?

- Tu n'y vas pas un peu fort, là ?

- De toute façon t'as pas les moyens !

- Et tu sais que ce n'est pas juste, mais on peut toujours rêver, non ?

- TA GUEULE !

- Je veux dire... Je vais faire comme toi, je vais y aller en pensées dans ma grande armoire. Je vais m'y déplier, y respirer mieux !

Long silence.

- Voilà, j'y suis... Elle est magnifique, tu verrais ça. J'ai même, comme une fenêtre et une sorte de vitrail, qui laissent passer la lumière. Je suis debout dedans, c'est incroyable. Dommage, que je ne puisse pas t'y inviter.

- Installe toi, prend ton temps. J'y viendrais plus tard, avec plaisir. Et puis, nous irons faire un tour dans mon prés.

Le 20 mars 2020. Exode, vers les maisons de campagne, des parisiens nantis. No comment.