Paradoxe

12/03/2022

 Aujourd'hui tout est calme. Dans mon village seul le ciel est changeant, se teintant de bleu, puis redevenant gris ou se scindant en deux d'un côté le gris d'un côté le bleu. Il se dégage comme une impression de douceur. De mes fenêtres je l'observe et je respire cet état de paix, de temps qui s'étire doucement et sans heurt. Quelle sensation étrange, alors que le monde gronde à l'intérieur de nous. Nous sommes encore en paix, mais pour combien de temps ? Le monde gronde et se défait sans cesse à coup d'images tragiques qui nous assaillent et dont on se remplie sans bien savoir qu'en faire. Et cela fait un bail que l'on sent précisément que le monde déraille, que le monde se fend, que le monde implose inexorablement. Guerres lointaines ou cette guerre aujourd'hui à quelques heures d'ici, nous sommes des civil-e-s confronté-e-s à cet état de fait et nous sommes tout compte fait fatalement impuissant-e-s. Et des questions se posent presque brutalement. Que ferais-je personnellement si la guerre se déclare et que le calme d'aujourd'hui se défait ? Que ferais-je si mon fils qui est en âge de partir sous les drapeaux est appelé ? Que ferais-je face à la violence déclarée, à la mort immédiate et concrète, moi qui aime fondamentalement la paix et la vie ? Que ferais-je pauvre civile démunie au sein du chaos qui nous sera alors imposé ? J'ai bien quelques idées, quelques valeurs, quelques convictions bien ancrées, mais que sais je de la guerre en fait, à part les récits que m'en ont fait mes ainé-e-s ? Rien, je ne sais rien. Mon corps, mon cœur, mon esprit, mon âme ne l'ont jamais éprouvé. Je fais partie de celles et ceux qui toute leur vie ont œuvré pour la paix et qui chérissent cette vie que la guerre n'a jamais envahie . Je fais partie de ces chanceux, qui depuis leur naissance et jusqu'à ce jour, ont pu vivre en paix sur une si longue période de l'histoire. (Quant ont y regarde de près, un fait unique en son genre depuis bien des décennies.) Une vie libre, une vie fière, une vie fantasque, une vie faite d'enfance à jamais, une vie d'empathies investies, une vie de créations refusant obstinément le pouvoir foudroyant de la destruction, une vie de naissances, de joies, de deuils et de douleurs, une vie d'humaine en paix, une vie d'amours en tout genres, une vie pleine, éprouvante comme toute vie humaine mais une vie au sein d'un peuple qui sur son lopin de terre a eu la félicité de ne pas être confronté à la guerre. Et voilà, que peut-être elle arrive ? Et voilà, que peut-être il faudra l'affronter ? La vivre justement, comme tant d'autres êtres humains sur cette terre. Aujourd'hui dans mon village tout est calme et le ciel en ce jour reflète ce paradoxe étrange d'un bleu intense et d'un gris sombre qui s'opposent, se mélangent et se fondent.