Perdre le contrôle ...

27/02/2022

 Depuis que je suis devenu mère quelque chose en moi a fondamentalement changé.

Depuis toute petite je suis à la marge. Mon histoire familiale y a joué pour beaucoup. La certitude à 12 ans que je serais comédienne, alors que familialement nous étions à des années lumières de ce monde là. Le parcours de ma mère s'extirpant des années 1950 et 1960 en s'engageant totalement dans la lutte féministe des années 70. Mon parcours de jeune femme dans les années 80/90. Ce choix de ne pas être dans une vie toute tracée en devenant, dans le même temps, comédienne et directrice d'acteurs puis ensuite metteure en scène sans vraiment avoir tous les codes de ce monde là. Ce choix a fait que mes choix ont souvent été à la marge, même au sein de mon « milieu travail ». Cela n'a pas été tous les jours facile, mais je n'ai aucun regret bien au contraire. Ma vie est riche de ce parcours singulier, comme tant d'autres que j'ai eu l'immense joie de rencontrer, avec qui j'ai partagé des moments de vie inoubliables. Mais devenir parent, devenir mère provoque certains paradoxes qu'il n'est pas toujours simple de comprendre, d'analyser afin de composer avec, afin de garder une certaine autonomie face à ceux-ci. Devenir responsable d'un petit être en devenir dans le monde normé qui s'impose de nouveau provoque des formes d'adaptations tout à fait particulières. Dès la crèche et son fonctionnement, la vie sociale, ses règles communes à toutes et tous reviennent en force dans une vie qui jusqu'alors prenait des chemins de traverses, une vie qui avait quitté en quelque sorte les grands axes routiers. Le cadre social s'impose de nouveau fortement, il contraint à un mode de vie qui doit alors se plier aux règles imposées.  Lorsque l'école débarque et que dès le CP les choses dérapent, les paradoxes internes à surmonter deviennent légion. Il faut alors naviguer dans ce monde là, tenter de ne pas perdre le contrôle en espérant que son enfant puisse y naviguer lui aussi pas trop mal. On pose des espèces de socles que l'on espère solides, on tente de soulager des douleurs qui s'installent, on accompagne, on soutien comme on peut. Ensuite les drames de la vie viennent, eux aussi, foutre en l'air cet équilibre précaire, il faut de nouveau tenir bon, puis tenter vaillamment d'offrir à ce petit être devenu grand des réponses concrètes à son parcours de vie que l'on sait depuis un bon moment hors norme lui aussi. Depuis presque six ans maintenant, nous traversons épreuves après épreuves : épreuves intimes, personnelles, épreuves communes à toutes et tous depuis deux ans maintenant. Nos vies sont bouleversées par le monde et son histoire sociale actuelle. Je suis en ce moment une mère vivant au jour le jour une période pour le moins étrange et décalée. Je ne pense pas être la seule confrontée au bordel ambiant qui nous plonge toutes et tous dans une sensation de perte de contrôle face aux évènements en nous imposant de composer sans cesse avec de nouvelles règles, tout en s'accrochant aux anciennes. Ne serait-ce que par rapport à nos métiers artistiques (je ne peux parler que de mon expérience), il est étrange de continuer vaille que vaille à faire les choses « comme avant » alors qu'en fait tout est perturbé, tout est fluctuant. Nous essayons de garder un semblant de planning, de deadlines, de rester structurés et créatifs au milieu d'un territoire instable, encore plus aléatoire qu'avant. Nos enfants traversent avec nous, à leurs manières, tous ces bouleversements. Ce ne sont pas des bouleversements lumineux, la maladie, la mort omniprésente, qui prennent leurs quartiers, les injonctions vaccinales qui n'en sont pas vraiment, mais qui si nous ne les respectons pas nous coupent du monde culturel et social, le réchauffement climatique, en face notre incapacité politique à y remédier et aujourd'hui la guerre à nos portes. Cette sensation que tout nous échappe sans cesse, ce sentiment d'impuissance envahit constamment nos vies. Pourtant celles-ci continuent quoi qu'il arrive, mais elles manquent fondamentalement de joies, d'insouciances, d'élans, d'enthousiasmes. Le peu de réponses que j'avais aux questionnements de mon fils lorsque ceux-ci sont sombres et durs, semblent aujourd'hui totalement dérisoires. Ma lumière n'éclaire plus grand-chose. Cette sensation aigu d'une perte de contrôle sur notre vie est extrêmement présente en ce moment. Pas le contrôle sur les êtres vivants qui m'entourent, je n'en vois aucunement l'intérêt, mais une forme de maîtrise dans mes choix de vie apportant beauté, douceur de vivre et sensation de liberté. Ce n'est pas simple d'accepter que les temps que nous traversons n'y sont pas propices, que nos adolescents et adulescents prennent tout cela en plein cœur, que parfois, pour certain, leurs cœurs tendres se durcissent trop vite. Pourtant je n'arrive pas à perdre espoir, je n'arrive pas à baisser les bras, je n'arrive pas à abandonner une forme de joie qui depuis deux ans a repris ces quartiers. C'est paradoxale je le sais, je le ressens profondément.     « Tout est vain » n'est pas d'actualité. Je sais que c'est une chance. J'aimerais juste, parfois, que la transmission de cette force intérieure qui m'habite en ce moment soit plus évidente. Mais justement, il faut aussi parfois accepter la perte de contrôle, faire confiance, lâcher prise, ne pas s'inquiéter outre mesure. Se dire qu'un chemin se trace, que c'est le sien et qu'il sera sûrement singulier, comme le mien. 

Depuis que je suis devenu mère quelque chose a fondamentalement changé en moi. Mon cœur a débordé. Aujourd'hui je dois trouver le juste équilibre entre le lâcher prise et le soutien indéfectible, tisser une relation humaine singulière et à la fois universelle. Chasser toutes peurs inutiles. « Perdre le contrôle » en beauté.

Le 27 février au matin. Il me trottait dans la tête depuis un moment ce texte. Bonne journée.