Se regarder à la loupe

18/06/2024

On se regarde soi et les autres à la loupe. On le fait sans tendresse et la langue aiguisée comme un couteau . Les réseaux sociaux donnent une image idéalisée de nous même au monde et pourtant les jugements sont féroces. On se regarde à la loupe. On détaille, on scrute, le moindre défaut, la moindre faille, on se rue dessus comme des fauves affamés prêts à dévorer leur proie. La rage et la haine ont de beaux jours devant elles. On crée des communautés en tous genres, on se réfugie au sein de l'une d'elle et on bannie les autres, "ma commu" me protège. Je suis identifiée, je suis dans un clan, d'un camps, cela semble rassurant. J'ai raison ils /elles ont tort. Chacun, chacune sa communauté culturelle, religieuse, sociale et politique. Et on continue de se regarder à la loupe. Le jugement est roi et il bat le pavé. On s'insulte, on se heurte grâce à un vocabulaire fleuri, on débat de loin via écrans interposés et pourtant on se regarde à la loupe afin de déceler la moindre fêlure et l'agrandir encore et encore. Alors l'universel et le commun meurent sous nos coups répétés, nos injonctions contradictoires et véhémentes, nos rages et nos haines. Je suis bien consciente que je ne peux m'entendre avec tout le monde. Je suis bien consciente que je reste parfois sans voix face à nos fonctionnements humains, je sais que je ne pourrais surement jamais rejoindre et comprendre la pensée et les actes d'une grande partie de l'humanité. Mais j'aime notre commun . J'aime ce qui nous relie fondamentalement, au delà de nos pensées, qui, elles, ont bien souvent tendance à nous déchirer, à nous séparer. J'aime me décoller de la loupe et prendre du recul, avoir une vue d'ensemble et la trouver belle. Nous sensibles, nos créations, nos émerveillements, nos doutes, nos frémissements, nos élans, nos joies, nos peines sincères et simples, nos émotions... Toute cette vie que l'on perçoit dans son ensemble lorsqu'on la regarde un peu de loin avec les yeux de la découverte et de l'émerveillement, lorsque le jugement s'est tu. Changer tout le temps de point de vue, ne jamais rester frontale et trop près. Et parfois c'est un petit détail dans la vue d'ensemble, un détail que l'on n'aurait pu voir l'oeil rivé à sa loupe, qui nous émeut au plus profond. Et l'on se sent relié avec celles et ceux qui ne nous ressemblent, soit disant, en rien. C'est ce petit détail dans ce grand mouvement d'ensemble qui nous rassemble dans un grand tout, dans le commun. Universalité, humanité, danse des corps, chants des voix, vibrations du sensibles, vies et morts loin des loupes qui nous disséquent. Je revendique la beauté de notre humanité même chez nos pires ennemis. Ne pas la revendiquer engendre toutes nos guerres, toutes nos guerres sont fratricides. Je choisis toutes nos libertés, toutes nos âmes à la marge, je choisis la vie et l'amour, les mots doux qui caressent. Et cela ne raconte en rien que je courbe l'échine, que je suis faible, que je capitule. Je choisis de faire face à l'innommable, aux atrocités, à notre violence universelle ( et oui elle est universelle ! ) le sourire aux lèvres, forte de mon espoir invincible, de mes gouttes d'eau personnelles jetées dans notre mer commune, forte de mon regard aiguisé de part la pratique de mon métier. Forte de mon caractère patient et résiliant. Forte de mes colères contre l'inacceptable mais pas contre notre commun, pas contre notre humanité, même si ce n'est jamais simple notre humanité... Élargir mon champ visuel, toujours ...

Cécile Aziliz le 09 juin 2024