Treizième lettre
Philippe,
ne plus pouvoir me blottir dans tes bras est cruel. Une cruauté que je ne peux partager avec personne. Les années passant, normalement mon deuil devrait être terminé, j'aurais dû te remplacer il y a quelques années déjà... j'aurais dû faire l'effort de retrouver d'autres bras prêts à m'enlacer. Si le manque est cruel, j'en suis responsable quelque part, n'est ce pas ?
Que sait-on des corps esseulés après avoir été tant aimés, consolés, apaisés, ressourcés ?
Ne plus me réfugier au creux de ta tendresse, de ton amour qui fut toujours immense même au cœur de ta propre tempête, de ta guerre intérieure lors de cette dernière année sombre et alcoolisée, me demande plus que de la force ou de la résignation. Ne plus vivre cet abandon, ce relâchement absolu de tout le corps, cette paix profonde, est une douleur qui ne porte pas de nom. On ne se blottit pas dans les bras de n'importe qui. On n'offre pas son âme toute entière à n'importe qui. Lorsque je posais ma tête contre ton épaule ton corps chaud et offert me protégeait de moi, du monde, des autres, le temps de me refaire et de repartir remplie de joie en toute confiance affronter mes propres peurs et en découdre avec toutes nos imperfections, les miennes et celles du monde qui nous entoure. Je savais que de retour à la maison, mon corps trouverai refuge contre le tien. Tu étais un soignant, un accompagnant dévoué, des corps fragiles et fatigués tu n'en avais pas peur. Tu savais aussi que la réciproque était vrai. Mes bras, mes baisers, mon sourire étaient là pour te ressourcer, te nourrir, te soigner... Hélas je n'ai pas pu, pas su te guérir... Notre ennemi était bien trop puissant. Il n'empêche, pendant cinq années pleines nous avons vécu cette grâce absolue d'un peau à peau salvateur.
Une main dans la tienne et déjà toutes mes peurs qui s'éloignent, mon corps se détend, mon cœur s'abandonne, frissonne, mon mental fait silence, mes sens s'épanouissent, ils profitent de la vie qui se fait belle et dense en un instant. Bien mieux que la méditation. Un puit de jouvence qui s'offrait à nous tous les jours... ton choix définitif me l'a arraché sans pitié.
Tu me manques. Bordel de merde !!!! Tu me manques et je n'ai aucune idée de comment m'échapper de ce manque qui s'accroche depuis presque une décennie...
9 années de veuvage pur et dur. Et partout autour de moi des couples ... Je n'ai aucune idée de ce qu'ils vivent tous ces couples, ce n'est peut être pas la panacée, mais je m'en fous, tout mon être les envie d'avoir cette possibilité sublime de poser leur tête sur l'épaule de l'autre et d'être au chaud du réconfort le plus précieux du monde.
En novembre : 9 ans d'absence... 9 ans à porter mon monde plus une partie du tien, nos deux fils, seule... 9 années à regarder les couples... et en silence, en essayant de ne rien faire peser, de les envier...
Et toujours je t'aime... Je sais ce que tu m'as pris: ma joie profonde et récurrente, mon insouciance chevillée au corps... Je sais aussi ce que tu m'as donné et puis repris dans la plus grande des brutalités lors de ton suicide. Depuis je lutte de toutes mes forces pour y survivre, malgré tout, malgré toi.
Cilou.
Photo prise par le père de Denis. Denis est sur la photo. Mes frères et mes sœurs de cœur sont là ... Nous étions tendres , cruels aussi ... Nous étions des adolescents incroyables...
