Une lettre de plus, la quatorzième je crois...

Phil,

J'ai toujours envie de faire l'amour avec toi. 

Tu es mort il y a neuf ans. Mon deuil n'est plus une torture de tous les instants. Mes souvenirs sensoriels devraient s'effacer peu à peu, se dissoudre, perdre de leur précisions, que nenni, ils ne perdent rien de leurs saveurs variées, ils restent bien vivants se baladant tranquillement en toute liberté, essaimant inlassablement les bons et mauvais souvenirs en les parant de milles détails criant de vérité. 

J'ai toujours envie de nos baisers longs et voluptueux, de tes mains sur mon corps tout entier, tes mains si belles, grandes fortes et délicates à la fois. J'ai toujours envie de tes jambes s'emmêlant dans les miennes, de ton corps me couvrant toute entière, j'aimais tant alors nicher ma bouche au creux de ton cou, juste sous ton oreille. J'aimais que le monde disparaisse que mes yeux ne perçoivent plus que nos corps en mouvement dans cette danse intime, qui chaque fois est unique et pourtant bien universelle. J'ai toujours envie de ton sexe , de se plaisir intense de nos corps se soudant, pulsant dans un rythme devenu commun. Ça t'a surpris les premières fois que mon corps n'est pas d'effroi, pas de rejet, mais beaucoup de joie, que je connaisse mon sexe et son fonctionnement, que je ne sois pas passive, inerte et vaguement consentante comme tant de femmes blessées par des pénétrations forcées, ou égoïstement pratiquées.

J'ai eu de très bons amants, et des mauvais aussi. Les uns comme les autres m'ont éclairée sur le fonctionnement sexuel de mon corps. Et surtout je ne partais pas dans cette aventure de vie, sans un joli bagage offert par mes parents. Ils ont offert; à mes frangines et moi, des réponses à bien des questions auxquelles on ne répondait pas, auxquelles encore aujourd'hui on ne répond toujours pas. L'éducation sexuelle lorsqu'elle est bien transmise est un cadeau inestimable fait à nos corps en devenir qui ont tout à apprendre et tout à découvrir. Mon corps ne m'a jamais été étranger, ni un cadeau fait à l'autre en toute passivité. Si la passivité surgit c'est qu'il y a un problème et que donner et recevoir n'est plus un équilibre, voir  que cela ne fait pas partie du principe de base de mon partenaire. En général il n'y aura alors qu'une danse intime ratée pour mille et une raison et elle ne sera pas renouvelée.

Je crois bien que nos corps se sont trouvés. Je crois bien que nos corps se sont intensément trouvés, cherchés, aimés, que nous en fumes les premiers surpris. Une si forte alchimie, une évidence longtemps contenue, comme des vannes qui s'ouvrent, comme un chant singulier qui s'exprime... Honnêtement ça nous a bouleversés, dépassés, on ne s'y attendait pas, pas à ce point là... On se connaissait depuis si longtemps.

 Oui, j'ai toujours envie de faire l'amour avec toi, même si tu n'es plus là. Ma mémoire sensorielle est intacte et je n'en souffre plus tant que cela. Mon deuil se transforme, la douleur, la colère, la rage même s'estompe. La tristesse ne m'envahit plus de la même manière. Elle me prend de moins en moins souvent en traître, ca lui arrive encore parfois... mais vraiment de moins en moins souvent. Par contre le manque de ton corps puissant, chaud et si vivant, lui est intact.

A toi Philippe, mon bel amant. Aujourd'hui c'est mon anniversaire et la date anniversaire de ton enterrement, même si ma petite mère me protège et rend ce jour beaucoup plus solaire qu'il y a quelques temps, je me rend compte que ce jour là sera désormais toujours inscrit en moi comme le jour de ma naissance mais aussi le jour de ton enterrement.

Crédit photo / Denis Chevaleyre.